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«Personne n’a été emprisonnée arbitrairement»: Mohamed Abdallah, procureur de la République de Ndzuani

«Personne n’a été emprisonnée arbitrairement»: Mohamed Abdallah, procureur de la République de Ndzuani

Société | -   Sardou Moussa

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Tentative d’assassinat présumée du vice-président Moustadroine Abdou, arrestation des présumés auteurs de l’agression perpétrée contre le gendarme Ali Radjabou, le procureur de la République de Mutsamudu revient sur les derniers développements de toutes ces affaires qui défraient la chronique. Dans cette interview exclusive, le magistrat balaie les rumeurs de tortures et détaille, avec pédagogie, les procédures qui gouvernent toute enquête pénale.

 


Dans un point de presse avant-hier (lundi 6 août), vous avez informé le public que l’affaire de la tentative d’assassinat du vice-président Moustadroine Abdou venait d’être transférée à la Cour de sûreté de l’Etat. Peut-on espérer un procès dans combien de temps ?



De par la spécificité de l’acte perpétré le 21 juillet, à savoir, une tentative d’assassinat et complicité, ainsi que d’autres faits répréhensibles visés dans le réquisitoire introductif, nous avons ouvert depuis le samedi une information judiciaire au nom du substitut du commissaire du gouvernement, devant la Cour de sûreté de l’Etat. Dans pareil cas, il y a d’abord les enquêtes préliminaires menées par la gendarmerie, ensuite l’affaire passe chez le juge d’instruction qui instruit à charge et à décharge, puis enfin le jugement.  Je ne peux donc pas vous dire si c’est dans une semaine ou deux que l’affaire sera prête à être jugée.


Le recours à la torture pour faire parler les suspects est-elle permise dans ce genre d’affaire ? Et d’ailleurs les actuels suspects sont-ils ou pas soumis à des actes de torture ?



D’abord je condamne la torture ; c’est un concept qui ne figure nulle part dans le droit universel. Ces suspects ont été interrogés sans être secoués ni brutalisés. J’ai, d’ailleurs, eu l’occasion de voir certains. Ils sont là, ils témoigneront eux-mêmes. Et ce n’est pas seulement dans cette affaire : je poursuivrai personnellement le tortionnaire de n’importe quel justiciable qui serait un jour soumis à de la torture dans le cadre d’une enquête.

Voulez-vous nous communiquer les noms des principaux inculpés de l’attentat contre le vice-président?



Bien entendu. Il y a Monsieur Mohamed Ali Abdallah alias Régné, Kadri-chifa Mohamed alias Kadi, Elhad Ibrahim Halifa surnommé Eli, Yasserdine Mohamed dit Daladji, ainsi que Mahamoud Mohamed Elarif.


Le commissaire des Administrations publiques de l’exécutif de l’île ainsi que le directeur du protocole du gouverneur Salami ont été récemment emprisonnés. Etait-ce dans le cadre de cette même affaire ?



Ne mélangeons pas les choses : chaque citoyen, qui se trouve devant la justice, a son propre compte à rendre. Le directeur du protocole du gouverneur a publié des écrits diffamatoires pendant la campagne, la veille d’un meeting à Bambao. Il a été jugé. Ce qui lui a été reproché n’avait donc rien à voir avec cette affaire.


Depuis le début de cette année, trois des six commissaires de l’exécutif de l’île ont connu la prison. Deux autres anciens commissaires aussi. Il y a également eu de nombreuses interpellations de militants de l’opposition, de Juwa surtout, dans les différentes brigades de la gendarmerie, où ils ont été avertis qu’ils seraient tenus responsables de tout acte de trouble à l’ordre public qui se produirait dans leurs régions respectives. Comment expliquer cette subite envolée des arrestations et interpellations dans les milieux politiques de l’opposition?



Moi je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites. Je vous donne l’exemple d’un ancien commissaire originaire de Vuani, jugé et condamné pour avoir ôté une banderole [lors des campagnes]. C’est un délit puni par le code électoral. Vous dites que des gens ont été interpellés pour être notifiés de ne pas commettre des fautes, je ne l’ai pas su et ce n’est certainement pas de la justice que cela a émané. Déjà au vu de la loi, un délit n’est amputable qu’à celui qui l’a commis. Et un délit est reconnu comme tel lorsque l’auteur est présenté devant la justice, jugé et condamné. Par ailleurs, je peux vous assurer que depuis que je suis procureur, personne n’a été emprisonné arbitrairement. Les personnes qui ont été présentées devant la justice le témoigneront. Ici, l’autorité de poursuite appartient au procureur. Qu’il soit politicien ou non, le justiciable qui nous est présenté est condamné s’il est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés, ou relâché si ce n’est pas le cas.


Est-ce qu’ici à Ndzuani, il y a des citoyens sous surveillance permanente de la justice, susceptibles d’être interpellés à la moindre casse ?



Nous avons une liste de gens déjà condamnés pour vol, viol ou pour d’autres délits, qu’il convient de surveiller, mais pas de gens suspectés.  

 


Est-ce que les autorités civiles ont le pouvoir de faire arrêter et emprisonner des citoyens ? Je vous pose cette question car lors d’une conférence de presse, le coordonnateur de l’Union à Ndzuani, Nourdine Midiladji, avait reconnu avoir fait arrêter un ancien commissaire de l’Education et d’autres personnes qui voulaient manifester à Domoni à la sortie d’une prière de vendredi…


 


Je n’adhère pas à ce que vous dites, cela n’engage que vous et lui, si vous admettez que cela a été ainsi dit. La loi permet à la police ou à la gendarmerie d’intervenir en cas d’infraction, et d’en rendre compte au procureur et au commandant de compagnie. Ou bien c’est la justice qui saisit la gendarmerie aux fins d’une enquête, ou encore une personne peut dénoncer une infraction auprès de la gendarmerie, mais ordonner l’arrestation d’un citoyen, cela entre dans les compétences de la justice, du procureur en somme, ou du commandant de la gendarmerie en cas de flagrant délit ou d’une dénonciation par la victime d’une infraction. Je veux donc dire que lorsqu’elle constate une infraction, une autorité civile n’ordonne pas l’arrestation de l’auteur, mais informe la justice ou la gendarmerie.     


Le lendemain de l’attentat, le ministre de l’Intérieur et le directeur de cabinet du chef de l’Etat ont tenu une conférence de presse pour accuser le parti Juwa et le gouverneur Salami d’en être les instigateurs. Récemment encore, le président de la République a soutenu qu’en attendant d’être désigné coupable par la justice, le gouverneur Salami était responsable de cet attentat. Est-il dans l’ordre des choses que les autorités civiles, encore une fois, portent des accusations contre des gens sur une affaire judiciaire avant une mise au point de la justice ?


 
Les autorités politiques ont leur langage. C’est un langage politique, qui est à dissocier de celui de la justice. Néanmoins lorsqu’un crime est commis, tout le monde a le droit de le condamner. Accuser telle ou telle personne n’engage que soi, mais en ce qui nous concerne, nous nous tenons à la procédure judiciaire, et quiconque est suspecté dans une affaire est protégé par la présomption d’innocence, jusqu’au jour où la justice le déclarera coupable.


La justice comorienne est-elle vraiment  indépendante du pouvoir exécutif ?



En ce qui me concerne, moi, procureur de la République, je peux vous jurer que mes supérieurs hiérarchiques directs, à savoir, le procureur général et le ministre de la Justice, n’ont jamais cherché à me dicter mes décisions. Idem pour la présidence. Et quand bien même ils auraient voulu le faire, je ne suis pas tenu de m’y plier, car ce n’est pas ainsi que le veut la loi. Le ministre de la Justice m’appelle pour me demander des renseignements, jamais pour me dicter.

Propos recueillis par
Sardou Moussa et Kamal Al

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