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Rahmatou Goulam, présidente de l’Ong Hifadhui : «Si la justice est laxiste, nous risquons de voir les gens se faire justice eux-mêmes»

Rahmatou Goulam, présidente de l’Ong Hifadhui : «Si la justice est laxiste, nous risquons de voir les gens se faire justice eux-mêmes»

Société | -

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La présidente de l’Ong Hifadhui a accepté de répondre à nos questions

 


Votre Ong, Hifadhui, organise une manifestation le samedi prochain, 13 mai, sous le thème «le laxisme du système judiciaire face aux abus sexuels sur mineur». Pourquoi avez-vous choisi ce thème ?


Nous nous sommes rendu compte qu’il y a un laisser-aller, du laxisme au niveau du système judiciaire face aux abus sexuels sur mineures. Du coup, nous nous sommes mobilisés pour mener des actions de sensibilisation envers la population pour qu’elle soit informée et qu’elle puisse nous soutenir pour crier ensemble notre ras-le-bol face à ces injustices.

 


Quel est l’état des lieux aux Comores de la violence et des viols faits aux femmes et aux enfants ?


A l’heure actuelle, la situation est catastrophique. Rien qu’au mois d’avril jusqu’aujourd’hui, nous avons enregistré plus de dix cas d’abus sexuels sur mineures, dont certains avec grossesse, et ce sont des enfants de 10, 13, 8 ans, voire même de 2 ans.
Certaines affaires de viols sont réglées à l’amiable, en dehors de toute procédure judiciaire. Ce phénomène semble encourager la pratique des viols dans les villages.

 


Comment entendez-vous lutter contre ce phénomène ?


C’est la difficulté de notre combat. Tantôt il y a la justice qui ne nous facilite pas la tâche, mais il y a aussi le silence, le tabou face aux viols sur mineures. Des parents demandent des cadeaux empoisonnés.

Les parents qui ont des enfants violées acceptent facilement que l’enfant soit marié, un terrain ou une maison en échange. Or ce ne devrait pas se passer comme cela. La meilleure solution, c’est d’en parler.

D’ailleurs, le principal domaine d’intervention de notre Ong Hifadhu, c’est de sensibiliser, conscientiser sur le fléau et dire non ; en aucun moment un adulte n’a pas le droit d’avoir des relations sexuelles avec une mineure. C’est un crime.

 


Quelles sont les principales difficultés que rencontre votre Ong dans vos campagnes de sensibilisation contre les violences faites aux femmes ?


On a des problèmes de logistique. On organise des tournées de sensibilisation difficilement avec nos propres moyens, avec nos véhicules privés. Dans certains villages, la population est sensibilisée et adhère facilement à la cause, mais on peut entendre d’autres bouches à côté dire qu’il n’y a pas de violence alors qu’on sait qu’il y en a ; aucune ville, aucun village n’est épargné.

 


Vous luttez aussi contre les mariages précoces. Certains estiment que l’islam ayant fixé la majorité à 13 ans, les filles de cet âge peuvent être mariées sans aucun problème. Qu’en pensez-vous ?


Je ne veux pas rentrer dans les détails parce que moi-même je suis confuse quand je vois un parent venir me dire qu’il a marié sa fille parce qu’elle est majeure ou quand il me dit que c’est pour sa protection parce qu’il n’arrive pas à la surveiller et que la situation risque de lui échapper.

Pour l’enfant, ce n’est pas la solution car elle n’a pas d’avenir, je crois que les spécialistes vont pouvoir donner des réponses satisfaisantes. Je suis très confuse parce que je sais que la religion l’autorise.

Toutefois, nous sommes confrontés à plusieurs régimes juridiques : tantôt c’est la loi musulmane, tantôt ce sont les conventions internationales, on ne sait plus où on va. Je crois qu’on doit avoir des assises nationales sur le système judiciaire et les lois sur lesquelles la justice s’appuie.

 


Pouvez-vous nous dresser un bref bilan des actions que vous avez pu mener, aussi bien au sein de l’Ong Hifadhu qu’au niveau de la cellule d’écoute, en matière de protection des femmes et des enfants ?


Depuis la création de l’Ong, nous avons organisé plusieurs activités de sensibilisation, des caravanes, des table-rondes avec les acteurs judiciaires ; nous avons organisé des activités lors de journées thématiques et nous nous mobilisons pour manifester pacifiquement à Moroni et dire non à la violence sous toutes ses formes et oui pour les changements de mentalités et de comportements.

Avec la cellule d’écoute, nous travaillons en étroite collaboration ; nous avons mis en place une ligne verte 460 pour que les témoins ou les victimes puissent appeler gratuitement et bénéficier d’un appui en termes de conseil et de protection.

Nous travaillons aussi avec la cellule d’écoute sur le terrain, en allant rencontrer les familles des victimes, comprendre comment un cas a pu être dénoncé et que plus tard la famille se retire et ne poursuit plus l’affaire. En ce moment, avec la cellule d’écoute, l’Ascobef et nos avocats, nous menons des campagnes de sensibilisation car aucun développement n’est réalisable sans la sécurité des femmes et des enfants.

 


Certaines affaires dont vous avez saisi la justice tardent souvent à être tranchées ; ce qui décourage parfois les familles, qui préfèrent des arrangements à l’amiable. Selon vous, à quoi est due cette lenteur ?


Justement, nous cherchons aussi à comprendre ; on pose des questions à  nos avocats et aux juristes qui nous appuient parce que tantôt on nous dit c’est pour ouvrir des enquêtes et essayer d’avoir plus d’éléments par rapport aux dossiers.

Mais, ce qui décourage davantage les familles, ce sont plutôt les libertés provisoires. Nous ne sommes pas la justice, je ne peux pas envoyer quelqu’un en prison. Notre travail, c’est de sensibiliser, appuyer la victime jusqu’à ce que le coupable soit puni. Mais, on se demande, au moment où le suspect est bien coupable avec preuve à l’appui, comment il peut être libéré le lendemain ? On a peut-être besoin d’être formés sur le système pour mieux comprendre.

Le dernier cas qu’on a eu, c’est une jeune fille de 14 ans qui a été abusée et tombée enceinte et au moment du délibéré, le suspect n’était même pas là. Il a pris 5 ans, mais il n’était même pas là pour purger sa peine ; il avait déjà fui.

C’est ce qui décourage les familles et qui les pousse à faire justice elles-mêmes, car n’ont pas confiance en la justice.

 


Quel est le bilan de la caravane que vous venez d’organiser ? Comment les gens reçoivent-ils vos messages ?


Depuis dimanche, on organise des tournées et caravanes dans des villages pour les sensibiliser afin qu’ils viennent nous rejoindre pour dire non au laxisme et au laisser-aller du système judiciaire.

On voudrait que dès qu’il y a des preuves et que les faits sont avérés, le suspect paie de sa personne. Les gens réagissent différemment ; certains vont jusqu’à proposer la peine de mort pour ces violeurs de mineures, d’autres disent être déçus par le système et se demandent comment ils peuvent se comporter face à un homme qui a abusé de son enfant et qu’il voit le lendemain en liberté.

D’autres encore dénoncent les violences en milieu scolaire, notamment les notes sexuellement transmissibles. Nous devons agir ensemble car aujourd’hui c’est mon enfant, demain, ce sera celui d’un autre.


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