logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Étienne Chapon I Il faut «renforcer un partenariat basé sur l’efficacité»

Étienne Chapon I Il faut «renforcer un partenariat basé sur l’efficacité»

Société | -   Chamsoudine Said Mhadji

image article une
Le nouvel ambassadeur de France a choisi le journal Al-watwan pour sa première interview quatre mois après son accréditation. Etienne Chapon qui s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs veut accorder une importance particulière à la visibilité de l’action de la France aux Comores. Il s’est engagé à renforcer le partenariat, à travers «une coopération basée sur l’efficacité» et qui sera «utile et concrète pour les Comoriens et les Français». Le diplomate n’a pas manqué de souligner les liens entre la France et les Comores empreints de «respect et de fraternité», estimant que les deux pays devraient capitaliser ces liens au profit des deux peuples.

 

Comment imaginiez-vous les Comores avant votre arrivée et quelle réalité avez-vous découverte depuis quelques mois sur place ?


Avant d’arriver, j’imaginais l’archipel des Comores à travers le prisme de sa beauté naturelle “les îles de la lune” et de culture au carrefour de nombreuses civilisations, arabe, musulmane, africaine et océanique. Je m’attendais à des paysages époustouflants, ce qui est le cas. Mais la réalité que j’ai redécouverte est avant tout humaine. J’ai été frappé par la profondeur des liens familiaux et culturels qui unissent intimement nos deux pays. Je dis, redécouverte car j’ai grandi dans la région de Marseille, entouré de nombreuses familles d’origine comorienne. Pour moi, c’est comme une sorte de retour aux sources, cela ne veut pas dire que ça me donne une connaissance innée de toute la culture comorienne, loin de là, ce sont ces liens familiaux que je redécouvre après quatre mois aux Comores.

Après 50 ans d’indépendance, fêtés cette année, quel regard portez-vous sur le parcours historique et politique des Comores ?


C’est un regard empreint de respect et de lucidité. Cinquante ans, c’est à la fois beaucoup et très peu d’autant que le parcours des Comores n’a pas été rectiligne. Cependant, je retiens surtout la capacité des Comoriens à toujours progresser à chercher le chemin du dialogue, comme en témoigne la présidence tournante qui a permis une certaine stabilité ces deux dernières décennies. La France a été un témoin, et toujours un partenaire, de cette histoire. Aujourd’hui, ce que je retiens, mon regard est tourné vers l’avenir. Comment renforcer encore notre partenariat, pour que mon pays contribue, à sa place, à offrir des perspectives à la jeunesse comorienne ? C’est là que se joue le défi des 50 prochaines années.

Justement, vous avez parlé de renforcer le partenariat, comment envisagez-vous consolider la coopération entre la France et les Comores durant votre mandat ?


Moi, j’ai une feuille de route qui est très claire, c’est ce qu’il m’a confié le président Macron, président de la République française. C’est de renforcer un partenariat basé sur l’efficacité. Je souhaite que notre coopération soit visible, soit plus utile et concrète pour les Comoriennes et Comoriens et pour les Françaises et Français. Si je parle de la coopération entre la France et les Comores, c’est une coopération variée. Vous savez, il est rare d’avoir une coopération aussi variée : la santé, l’école, la Francophonie, la formation professionnelle, l’agriculture, les transports, les infrastructures, l’emploi, l’accès à l’eau potable, la musique, le sport, le patrimoine, l’entrepreneuriat. Partout où je me déplace, sur les îles, il y a des projets de coopération entre la France et les Comores. C’est tous ces partenariats qu’on m’a demandé de capitaliser.

Quelle est votre position sur le différend autour de Mayotte et sur le débat entre dialogue bilatéral et recours aux instances internationales ?


Ma position est celle de mon pays, la France et elle est constante et bien connue : Mayotte a choisi d’être française. Sur la méthode, je suis pragmatique. Le recours aux instances internationales fige les positions et nourrit des rhétoriques qui ne règlent pas les problèmes du quotidien. Nous privilégions résolument le dialogue bilatéral. Pourquoi ? Parce que nous partageons un espace géographique commun. Les défis de sécurité, de circulation des personnes et de sauvetage en mer nécessitent une coopération technique et politique immédiate, pas des résolutions symboliques. Notre destin régional est commun, nous devons le gérer ensemble.

Notre gouvernement répète inlassablement qu’il privilégiera le dialogue, mais on ne sait toujours pas sur quoi ce dialogue repose et à quoi doit-il aboutir. Le savez-vous ?
Absolument. Ce dialogue ne repose pas sur du vide, il repose sur l’accord-cadre de partenariat renouvelé de 2019. L’objectif est très clair : il y a d’abord l’apaisement. Gérer les flux migratoires de manière humaine mais ferme, en luttant contre les réseaux de passeurs qui exploitent la misère. Ensuite, le développement solidaire. L’idée est que l’archipel des Comores se développe sur la base des échanges humains et commerciaux, par exemple des produits agricoles. Le dialogue doit aboutir à une zone de prospérité partagée dans le canal du Mozambique. Si les Comores réussissent économiquement, Mayotte (île comorienne occupée illégalement pas la France, ndlr) se portera mieux, et inversement. C’est cela la finalité.

À quel niveau d’exécution se trouve actuellement le Plan de développement France-Comores (Pdfc) signé en 2019 ?
Le Plan de développement France-Comores (Pdfc) doté de 150 millions d’euros, est en pleine phase de déploiement actif. Nous avons dépassé le stade des études pour entrer dans celui des réalisations. Aujourd’hui, des projets majeurs sont engagés, notamment dans le secteur de l’éducation (construction et réhabilitation d’écoles), de la formation professionnelle et de la santé. Nous travaillons également sur l’accès à l’eau et les infrastructures de transport. Bien sûr, nous souhaitons toujours que cela aille plus vite, mais le taux d’engagement est très satisfaisant et les Comoriens commencent à en voir les fruits sur le terrain. Je citerai par exemple l’assurance médicale généralisée, que j’ai lancée hier, (dimanche 14 décembre, ndlr), aux côtés du président Azali Assoumani à Mohéli, et qui est une réforme majeure dans le domaine de la santé. Nous sommes à plus de 35% de décaissement des fonds.

Vous avez évoqué la question de la sécurité, sur quoi reposent actuellement les accords de défense entre les deux pays ?
Ils reposent sur le respect absolu de la souveraineté comorienne et sur la sécurité maritime. Concrètement, cela se traduit par la formation des garde-côtes comoriennes ; la lutte contre les trafics illicites (drogue, pêche illégale) qui pillent les ressources des Comores ; la sécurité civile et le secours en mer. L’objectif est d’aider l’Union des Comores à assurer la sécurité de son vaste domaine maritime.

Quel regard portez-vous sur la démocratie en Afrique et aux Comores en particulier ?


Je dirais que nous ne sommes pas là pour donner des leçons ou imposer un modèle, mais pour accompagner des valeurs qui nous sont communes. Nous soutenons la démocratie non pas par l’ingérence, mais en appuyant la société civile, en finançant des projets pour la liberté de la presse, la justice et la bonne gouvernance. La France sera toujours aux côtés de ceux qui défendent l’État de droit et les libertés, mais ce sont les peuples souverains, et donc le peuple comorien, de tracer son propre chemin démocratique.

Un dernier mot ?


Nous avons une immense chance, les Français et les Comoriens. C’est cette relation fraternelle. Comme je disais au début, c’est extrêmement rare d‘avoir une telle relation basée sur ce qui a de plus important, l’humain. Je ne peux pas ne pas citer aussi la langue. Nous avons la chance d’avoir le Français en partage. Mon message, aussi bien aux Français et qu’aux Comoriens, chérissons cette relation et approfondissons-la en permanence.

 

Commentaires