Contexte
Nelson Mandela disait : “Après avoir gravi une haute colline, on se rend seulement compte qu’il y a encore beaucoup de collines à gravir”.
Tel est le sentiment qui nous envahit, après l’adoption par l’Assemblée nationale comorienne, le 22 juin 2017 de la loi “instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives”.
La loi dite des quotas n’est pourtant pas un principe nouveau. En effet, plus de 121 pays l’ont adopté et elle a permis l’élection de près de 23,3 % de femmes au sein des parlements nationaux. Le Rwanda grâce à une véritable volonté politique du président Paul Kagamé constitue le modèle par excellence avec près de 64 % de femmes parlementaires.
Dans le cas présent, l’article 1er de la loi comorienne adoptée dispose que “les nominations dans l’exécutif de l’Union comme dans ceux des îles autonomes respectent la proportion d’au moins 30 % du genre”. La formulation du second article, moins laconique, n’en demeure pas moins succincte :
Aux élections des représentants de la nation comme à celles des conseillers des îles autonomes, les candidatures représentées par les partis politiques, les groupements des partis politiques ou toutes formes de regroupements ne sont recevables que s’ils représentent au moins 30 % du genre.
Sans s’attarder sur la syntaxe de cette seconde disposition, cette première lecture nous laisse circonspects. Mais notre optimisme aurait pu demeurer intact au troisième article qui nous promettait que “les modalités d’application de la présente loi sont définies par décret pris en Conseil des ministres”. Seulement voilà, trois mois plus tard, nous sommes en droit de déchanter.
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Même si elle n’est qu’une infime partie du chemin qui reste à parcourir, cette loi représentait un pas important pour la femme comorienne. La question du genre et plus particulièrement de la condition féminine est récurrente et échoit à chaque mandature, à une nouvelle commissaire en charge de la problématique. Plus de 42 ans après l’indépendance des Comores, il est temps de poser la question relative aux droits de la femme comorienne et de son devenir.
Les Comores ont participé à la Conférence de Beijing de 1995 et sont tenues de concourir à l’atteinte des objectifs basés sur 12 thématiques définies lors de ce rassemblement de 189 pays. Force est de constater, 22 ans plus tard que beaucoup reste à faire, sur la question du genre, dans des domaines aussi variés que la prise de décision, la santé, l’économie ou les droits fondamentaux.
L’importance ainsi que le rôle de la femme comorienne dans notre société ne sont plus à démontrer. Néanmoins, comme le rappelle le rapport établi par le Réseau national des Avocats du Genre (Renag) en 2011, on remarque la quasi-inexistence de ces femmes dans le secteur décisionnel, qu’il soit politique ou économique.
Problématique
Il y a presque trente ans, sous le régime de feu le président Saïd Mohamed Djohar, on comptabilisait, une seule femme ministre, madame Sittou Raghadat, pionnière, qui fut d’ailleurs la première femme députée. À ce jour, ce chiffre au sein du gouvernement et de l’Assemblée nationale n’a pas augmenté. Il y a bientôt dix ans, durant l’expérimentation des mairies pilotes, on comptabilisait deux femmes maires.
Bien que les élections communales de 2015 aient permis, grâce à l’instauration de quotas, l’émergence de femmes au sein des conseils, le nombre de femmes maires n’a pas évolué. Le constat est similaire si on observe le nombre de femmes à la tête de société d’État, celles directrices de cabinet, secrétaires générales, directrices générales…
Où sont les femmes au sein des conseils d’administration, des formations collégiales telles que feu la Commission de lutte contre la corruption ou la Cnfpa ? Tous ces postes sont politiques et la haute fonction publique n’est pas épargnée. La femme comorienne est totalement absente du secteur décisionnel, qu’il soit politique ou économique. Une question principale demeure : comment y remédier ?
Les champs d’action prioritaires
Il est important de renforcer les droits de la femme comorienne dans plusieurs domaines.
Sur le plan politique, la loi précédemment citée est en attente d’un décret d’application. Des précisions sont en effet nécessaires. Quelles sont les nominations visées par l’article 1er ? Comment mesurer le respect de cette disposition ? Quelles sont les sanctions en cas de non-respect ? Qu’en est-il des nominations au sein de la haute fonction publique ?
L’effet du second article est limité. En dépit du fait que les partis soient contraints d’investir 30 % d’un genre lors des élections législatives, rien ne les empêche de réserver les circonscriptions favorables aux hommes au détriment des femmes. Une réforme complète du mode de scrutin doit être envisagée.
Seule la mise en place d’un scrutin de liste avec instauration d’une stricte parité peut permettre l’émergence rapide de femmes au sein du parlement. Cela aura en outre d’autres effets positifs en favorisant la création de groupes homogènes à l’Assemblée nationale et en mettant fin à l’émiettement des partis politiques.
Nous pourrions aller plus loin dans l’instauration des quotas en rendant obligatoire l’investiture d’une femme au sein du quatuor que constitue le ticket présidentiel aux élections de l’Union.
Mais pour que ces propositions soient réalisables, il serait nécessaire de les assortir d’un accompagnement en termes de formation au leadership et d’un accès aux financements.
Par ailleurs, une sensibilisation de la société civile en faveur de l’engagement des femmes en politique serait bénéfique. Cela induira une implication renforcée des femmes tout au long du processus électoral, de l’inscription sur les listes aux commissions électorales.
Il serait également intéressant d’élargir le champ d’application de la loi sur les quotas au domaine économique. Permettre au genre d’intégrer les conseils d’administration des sociétés d’État, le conseil économique et social, l’Anrtic... ainsi que les diverses commissions financières serait un acte positif.
Sur le plan social, il reste aussi beaucoup à faire. Une grande loi sur la Femme devient une nécessité. Il faut tout d’abord consolider le droit du travail afin de sanctionner entre autres choses, les licenciements des femmes enceintes.
Il est ensuite important dans le domaine du droit de la santé, de faciliter l’accès à la contraception et d’encadrer l’IVG qui se pratique aujourd’hui de manière sauvage. Les chiffres du taux de mortalité maternelle sont en hausse constante.
Les droits fondamentaux en termes d’accès à la santé sont bafoués, la femme et l’enfant étant les premières victimes. La femme comorienne doit avoir le droit à un suivi effectif de sa grossesse afin de pouvoir mettre au monde son enfant dans un environnement propice.
De même, en matière pénale, il est temps d’appliquer rigoureusement les textes sanctionnant les violences faites aux femmes. La culture de l’impunité est devenue une double peine pour ces jeunes filles, qui sont contraintes de côtoyer au quotidien l’auteur de leurs viols. Enfin, l’accès à l’éducation et la formation doit être garanti même dans l’enseignement supérieur.
Certes, les filles sont nombreuses à atteindre le niveau du baccalauréat. Mais le chiffre baisse dès lors que l’on atteint l’étape suivante. Un soutien et des bourses spécifiques pourraient inverser la tendance. Nous ne prônons pas un égalitarisme impératif, mais souhaitons une équité favorisant un développement économique et social harmonieux. Cette liste n’est pas exhaustive. Mais elle reflète l’étendue des besoins et du chemin qui reste à parcourir.
Conclusion
Ces principes d’équité du genre méritent d’être inscrits dans notre constitution. La modification des modalités de scrutin lors des différentes élections telles que décrites précédemment nécessite également un amendement constitutionnel.
Les partis politiques, la société civile, les différents mouvements militant pour le genre ainsi que les politiques doivent soutenir un tel projet qui nécessite une adhésion nationale. Les discussions dans ce sens doivent être engagées très rapidement, afin de permettre une application lors des prochaines échéances électorales.
Pour un vrai changement et l’émergence du genre, il reste donc à réunir deux éléments : une volonté politique ferme et la conduite d’une bataille de toute la communauté pour l’obtention de ces droits. Car après tout, “les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on refuse de livrer”...