Il est de ces douleurs dont un cœur d’homme ne se remet jamais. Un jour de 1996, un employé de la société Comores Telecom – qui préfère garder l’anonymat – est frappé par l’état de dénuement dans lequel vivent les handicapés de la capitale.
Depuis, “S.O.S handicapés” (on l’appellera ainsi) n’a jamais oublié. Cette douleur, il la couvera pendant vingt-deux ans. Samedi 7 avril 2018, journée mondiale de la Santé, il a décidé de lancer un cri du cœur. Parce qu’il arrive un moment où, le cœur plein, l’on ne peut plus se taire. Parce que, en vingt-deux ans, les choses sont restées en l’état. Et peut-être que quelqu’un, quelque part, entendra son cri. Qui sait ?
“S.O.S handicapés” est originaire de Mkazi. Il a 28 ans et travaille voilà deux ans au sein du Département des nouvelles technologies de la société Comores Telecom. Son salaire s’élève à 170.000 francs. Il a décidé de remettre plus de 80% de ce salaire à un handicapé, un seul, spécialement.
Je ne sais pas comment il s’appelle, mais il s’assoit à l’entrée du restaurant Nassib, dit-il.
Fauteuil roulant !
Bwana Bwana, puisque c’est de lui dont il s’agit,est un handicapé de naissance. Victime de malformation. Il est, à lui seul, le symbole de ces oubliés de la République. Il vient de Buuni dans le Hamahame, un village de pêcheurs.”Je me suis essayé tout jeune à la pêche à la ligne, mais je n’aurais jamais pu en faire un métier à part entière, et gagner ma vie avec”, confie-t-il. Il prendra alors la direction de la capitale. À Moroni il rejoindra, un temps, l’association Shiwe. Il apprendra à nager et participera à multiples tournois de football. Mais, “ce n’est pas une vie”, laisse-t-il entendre.
Il faut dire que les 500 francs issus des billetteries qu’on lui remettait étaient loin de couvrir ses besoins. Alors, un jour, il a décidé, comme tant d’autres handicapés des îles, de tourner le dos à l’association Shiwe pour “vivre de la rue”.
Aujourd’hui, Bwana Bwana loue une maison à 12.500 francs le mois à Oasis. Tous les jours, vers 4 heures du matin, il tire sur son fauteuil roulant– usé par les années – jusqu’à la mosquée de la société Ma-mwe.
Après la première prière de la journée, il attend la levée du jour du côté de chez Bazi. Et une fois le soleil levé, il s’installe à l’entrée du restaurant Nassib, parapluie à portée de mains pour parer aux aléas du temps.
Je ne lève jamais la main pour demander des sous. Je porte mes espoirs sur la bonne volonté des passants, dit-il.
Il sait bien que c’est son droit, mais “il faut le réclamer avec respect”. Samedi 7 avril, journée mondiale de la Santé, une main venue du ciel lui a remis 140.000 francs.”Je ne sais pas quoi dire. C’est la première fois que quelqu’un me gratifie d’un geste aussi humain”, lâche-t-il, la voix pleine d’émotion.
Le rêve de “S.O.S handicapés”
Il pourra retrancher 50.000 francs dans cette somme pour acheter un nouveau fauteuil roulant, depuis le temps qu’il espère. Ce qu’il attend du gouvernement ? “Qu’il pense à nous”, se résume-t-il.
Imaginez, raconte plein d’espoir “S.0.S handicapés”, que trois mille agents des sociétés Comores Telecom, Ma-mwe et Snpsf donnent chacun 1.000 francs par mois. Cela donnerait, en un mois, 3.000.000 de francs. 36.000.000 de francs en 12 mois. Et, au bout de trois ans,108.000.000 de francs.
Cela ne suffirait-il pas à construire aux handicapés un centre d’accueil ?, interroge-t-il.
Imaginez, également, que ces mêmes trois milles agents versent toujours 1.000 francs par mois dans un compte réservé aux handicapés. Ce qui donne 3.000.000 de francs par mois.”Cela ne suffirait-il pas à couvrir leurs besoins mensuels?”, poursuit-il.
”S.0.S handicapés” ira, dans ses rêveries, jusqu’à proposer au gouvernement d’effectuer un prêt bancaire pour démarrer ce projet, pour ensuite “imposer une taxe de 2.000 francs par mois” aux agents des sociétés d’État, durant trois ans, en vue du remboursement. ”En donnant 2.000 francs par mois, un agent des sociétés d’État parvient à 72.000 francs en une année. C’est à peu près la moitié de ce que j’ai consenti en un mois”, dit-il,épris d’espoir.
Après tout, pourquoi pas ? Martin Luther King a aussi rêvé un 28 août 1963. Et puis, Barack Obama est devenu en 2009 premier président noir des États-Unis. Disons : “yes wecan !”.