logo Al-Watwan

Le premier journal des Comores

Ma-mwe : Un marché de près de 215 millions de francs sans appel d’offres

Ma-mwe : Un marché de près de 215 millions de francs sans appel d’offres

Économie | -   Nazir Nazi

image article une
Il y a presque cinq mois, la société de l’eau et de l’électricité, Ma-mwe, procédait à l’achat de dix mille compteurs monophasés et de trois-cents compteurs triphasés pour la somme de 431 590 euros soit près de 215 millions de francs comoriens. L’initiative avait pour but de généraliser les compteurs de prépaiement afin de lutter contre la fraude. Selon toute vraisemblance il n’y a pas eu d’appel à concurrence alors même que le code de passation de marché l’exige dans tout marché égal ou supérieur à 10 millions de francs. L’actuel directeur de la boite faisait à l’époque partie du comité provisoire qui dirigeait la Ma-mwe. A cela s’ajoute une société fantôme, Magasin Elec, à qui était adressé le bon de commande. La Mamwe a-t-il voulu combattre la fraude au point de s’engouffrer dans des pratiques illicites ? Eléments de réponse.

 

C’était à la fin du mois de novembre dernier que le directeur général de la société comorienne de l’eau et de l’électricité (Ma-mwe) a annoncé vouloir généraliser les compteurs de prépaiement pour lutter contre les fraudes. Dans cet achat, si on se réfère à un bon de commande signé le 13 juillet 2017 dont Al-watwan s’est procuré une copie, il a été question de dix mille compteurs monophasés et de trois cents compteurs triphasés à hauteur de 431 590 euros, près de deux cents quinze millions de francs comoriens. Et c’est là que ça commence à se corser. 

C’est la société Wasion group limited qui a remporté ce marché un 3 juillet 2017, période pendant laquelle un comité provisoire dirigeait le producteur et distributeur public de l’électricité. L’actuel dirigeant de la Ma-mwe se trouvait au sein de ce comité. Une somme, qui est on le rappelle de près de deux cents quinze millions de francs comoriens, laquelle aurait dû faire l’objet d’un appel à concurrence si on se réfère  aux seuils évoqués dans l’article 10 du code de passation des marchés publics et qui sont déterminés par un décret d’application. L’article 62 du décret portant application de la loi n°11027/AU du 29 décembre 2011 portant passation des marchés publics et délégation des services publics précise “que la passation d’un marché public par voie d’appel à la concurrence est obligatoire lorsque le marché de fourniture est égal ou plus de dix millions de francs comoriens”.

Prêt de 198 millions de francs, fonds propres

A la direction nationale de contrôle des marchés publics, Hadidja Ali, qui en est à la tête, a confirmé qu’il n’y a pas eu de demande de non objection à un appel d’offre de la Ma-mwe pour l’achat desdits compteurs à carte. Ce qui laisse comprendre qu’il n’y a pas eu un appel à la concurrence. Surtout que c’est à la direction nationale de contrôle des marchés publics de veiller à l’application des procédures de passation de tous les marchés publics. Ce n’est pas fini. Au niveau de l’autorité de régulation des marchés publics (Armp), l’attributaire, qui est Wasion group limited, ne s’y est pas fait enregistrer. Conséquence : le gagnant du marché n’a pas honoré la redevance de 0,5% auprès de l’Armp prévue dans le code. Mais revenons à l’achat des compteurs. Interrogé sur ce point précis, le patron de la Ma-mwe, Abdou Saïd Mdahoma, a affirmé que l’achat a eu lieu suite à un prêt de 198 millions de francs que Mamwe a contracté auprès d’une banque de la place. Selon lui, la société Mamwe s’est alignée sur un appel d’offre de la Banque mondiale dans le cadre du projet Prse pour l’achat de mille compteurs à carte avec les accessoires.

Nous avons décidé que la société qui gagnera l’appel d’offre de la Banque mondiale restera notre fournisseur des compteurs. Au lieu de procéder tous les jours à des appels d’offre, la société va nous fournir les compteurs jusqu’à la généralisation des compteurs à carte. Le fournisseur doit être le même pour faciliter la société, s’est exprimé le directeur général de la Ma-mwe.

Il a à cet effet insisté sur le fait que Ma-mwe continuera à demander les compteurs à Wasion group limited. Le code de passation des marchés publics, permet-il de s’aligner sur un précédent appel à concurrence ? Selon les explications avancées par l’autorité de régulation des marchés publics, on ne peut pas s’aligner sur un précédent appel d’offre. Lorsqu’il s’agit d’un fond propre, comme le cas d’un prêt bancaire, les marchés publics sont passés après mise en concurrence des candidats sur appel d’offres.

Compatibilité entre les compteurs et cartes

Pour la rumeur selon laquelle les compteurs ne seraient pas compatibles avec les cartes, Abdou Saïd Mdahoma a affirmé que “les compteurs sont déjà sur place, mais nous ne les avons pas encore testés. D’ailleurs, des formateurs sont attendus ce mois de mars pour former les agents de la société à mieux se servir”. Interrogé sur l’évolution de ce dossier, le chef du service logistique et approvisionnement de la Ma-mwe, Facrou Ahmed Ibrahim, n’est à l’évidence pas au courant que lesdits compteurs étaient déjà sur place. Mieux, il fera  savoir que les compteurs “sont incessamment attendus”. “Pour ceux qui parlent d’incompatibilité des compteurs avec nos cartes, c’est une fausse information. Puisque les compteurs ne sont pas encore arrivés”, a-t-il même tenu à préciser. Reste à savoir qui de nos deux interlocuteurs, à savoir le Dg de la Mamwe et le chef du service logistique, est dans le vrai. Par ailleurs, le mystère se poursuit cette fois sur le lieu de livraison des fameux compteurs.


Lire aussi : Appel d’offres, pour une utilisation efficiente des deniers publics


 

Dans le bon de commande dont on parlait plus haut, le lieu de livraison qui y était inscrit est le Magasin Elec. Pourtant, le chef de service logistique et approvisionnement de la Mamwe a déclaré que si Ma-mwe procède à des bons de commande, le lieu de livraison porte toujours le nom de la société “Ma-mwe”. “Quand nous remplissons les dossiers, nous mentionnons le nom d’un agent qui suit le dossier. Et le lieu de livraison est Ma-mwe”, a-t-il précisé.

Lieu de livraison dans l’ombre

Bizarrement, pour cette fois, le lieu de livraison a changé à en croire le fameux bon de commande. A la chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat (Ccia) de Ngazidja, on nous a confié que Magasin Elec a été enregistré au nom d’Abdou Ali  avec son numéro de téléphone. Autre mystère qui parsème ce dossier, une source au sein de la trésorerie de Ngazidja a assuré que Magasin Elec ne figurait pas dans leur base de données. Après avoir appelé le numéro que la Ccia nous a livré, il s’avère que le propriétaire du numéro est le patron d’une  société dénommée... “Service Inter Elec”. 

Le propriétaire de cette dernière, a dit ignorer que “sa société était engagée sur l’achat des compteurs”. Il précisera même “avoir fait des recherches sur ce Magasin Elec. Ce magasin n’existe nulle part. On nous avait dit qu’il était situé à Magudju, mais après vérification, il ne s’y trouve  pas”, a tempêté le patron du Service Inter Elec. Certains opérateurs de la place, interrogés sur l’existence du Magasin Elec, disent ne pas connaitre son existence.

“C’est une société fantôme”, ont-ils laissé entendre.

Combien de temps allons-nous rester dans cette opacité ? Dans cette enquête, force est de constater qu’il y a plus de questions que de réponses. Toute cette affaire a-t-elle été montée pour échapper au contrôle de la direction nationale des marchés publics ou à l’attribution de la redevance auprès de l’autorité de régulations des marchés publics ? Ou plutôt pour favoriser un fournisseur ?

 

 

 

 

 

Commentaires