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Transfert des compétences de la Cour constitutionnel à la Cour suprême: Débat autour de la Décision du chef de l’Etat

Transfert des compétences de la Cour constitutionnel à la Cour suprême: Débat autour de la Décision du chef de l’Etat

Politique | -   Contributeur

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Après la convocation du corps électoral pour le référendum, deux personnalités, ont tenté de déceler les méandres de la décision qui a enclenché ce processus. Yhoulam Athoumani, doctorant en droit, enseignant à l’Université de Paris Est Créteil, tente de répondre à la question de savoir s’il est possible, au regard de la loi, de réviser la constitution en période d’exercice des pouvoirs exceptionnels et d’expliquer les limites des pouvoirs qui découlent de l’article 12-3 de notre Constitution. A l’opposé, Abdoulmadjid Youssouf, ancien député, ancien ministre des Finances, ancien membre de la Cour constitutionnelle interpelle de son côté le président de la République de faire un usage pertinent et efficient de ses prérogatives d’arbitre et de modérateur du fonctionnement régulier des institutions et l’exhorte à rappeler les autorités, à leurs obligations constitutionnelles, de nomination à la Cour constitutionnelle.

 


Yhoulam Athoumani, Doctorant en Droit, Enseignant à l’Université de Paris Est Créteil.


 

" Le 30 avril 2018, le président de l’Union des Comores a, par un décret, convoqué les électeurs “en vue de se prononcer par voie de référendum, sur le projet de révision de la constitution”.  Alors que l’on sait très bien  que depuis le 12 avril, il a usé de ses pouvoirs qui découlent de l’article 12-3 de notre Constitution. Il est donc évident de savoir s’il est possible, au regard de la constitution, de réviser la constitution en période d’exercice des pouvoirs exceptionnels? Mais avant de répondre, je vais parler de la décision du 12 avril.

De prime abord, parlons de la décision du 12 avril 2018. Je l’ai déjà affirmé que cette décision ne manque pas de cohérence. Cette décision, visant à transférer les compétences de la Cour constitutionnelle à la Cour suprême, a été prise sur le fondement de l’article 12-3 de la constitution.  Une décision qui a fait l’objet d’un débat controversé, les uns favorables et les autres défavorables. Alors qu’en réalité, rien n’empêche le président d’user des ses pouvoirs qui découlent de l’article 12-3 de la constitution.  Au demeurant, il est à vérifier si les conditions posées par cet article sont réunies. Sans doute oui, au motif que notre cour a cessé de fonctionner depuis presque 1 an (Autrement dit une interruption du fonctionnement régulier de cette institution), alors qu’elle est celle qui assure la protection de nos libertés fondamentales (en étant gardienne de nos libertés, son interruption constitue une menace grave et immédiate).


Lire aussi : Révision constitutionnelle et circonstances exceptionnelles : mauvais ménage ?


 


Un autre point important, celui de la nature de cette décision. Contrairement à ce que disent la plupart de nos juristes, cette décision n’est pas un acte administratif. Pour deux raisons. D’abord, la mise en œuvre de cet article 12-3 confère au président, au titre de l’un de ses pouvoirs propres, des pouvoirs larges exceptionnels ou, d’une autre manière, des pleins pouvoirs. Et dans ce cadre, lorsque sa décision touche le domaine législatif, cette décision revêt le caractère d’une disposition législative.
Et lorsqu’elle touche le domaine réglementaire, la décision est qualifiée d’acte du gouvernement. Mais en aucun cas, ce n’est un acte administratif. Ensuite, la raison de cette qualification, disposition législative ou acte de gouvernement, réside dans le fait que cette décision échappe à toute censure du juge, et donc elle  bénéficie d’une immunité juridictionnelle ou contentieuse.

“Extension des pouvoirs du président”⃰

Sur la question de savoir si le président peut toucher le domaine de la constitution lors de la mise en œuvre de l’article 12-3 de la constitution? Rappelons-le que cette décision relative au transfert de compétence n’est pas une révision de la constitution comme le prétendent certains. En revanche, le président, en usant de ses pouvoirs exceptionnels, avait-il le droit de transférer les compétences de la cour constitutionnelle vers la cour suprême? Il faut noter que les règles de parallélisme de compétence et de forme ne s’appliquent pas pendant cette période exceptionnelle.


Il est vrai que lors de la mise en œuvre de l’article 12-3, le président se limite au domaine législatif, mais en droit, il y a, aussi, cette règle qui permet d’élargir ses compétences.

D’ailleurs, une partie de la doctrine considère que, je cite, “le silence de la constitution devrait être interprété non comme une interdiction mais comme une permission”, notre constitution ne précisant pas jusqu’où le président doit aller lorsqu’il met en œuvre l’article 12-3 de la constitution (en rappelant qu’il s’agit d’une décision provisoire et non d’une révision de la constitution)  et bien ce silence n’interdit pas au président de transférer de façon provisoire les compétences de la cour constitutionnelle vers la cour suprême. Il s’agit là, tout simplement, d’une extension des pouvoirs du président.
Ensuite, il est question de la compatibilité entre la révision de la Constitution et l’article 12-3 de la constitution. Je crois qu’il faut pouvoir expliquer cette compatibilité sans tenir compte du Droit Français. Il est vrai que ce dernier interdit la révision de la constitution en période d’exercice des pouvoirs exceptionnels du président de la République.  Mais au départ, la constitution Française interdisait seulement la révision en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire. Cette interdiction n’englobait pas, entièrement, l’article 16 al.1 de la Constitution. Car, il faut savoir que “l’atteinte à l’intégrité du territoire” est l’une des conditions alternatives (et non cumulatives) énumérées par cet article 16 al.1 de la Constitution. Autrement dit, en cas de menace grave sur les autres conditions (outre l’atteinte à l’intégrité du territoire), si l’on se limite seulement à l’article 89 al.4, la révision serait possible. C’est ainsi que le conseil constitutionnel (DC, N°92-312 du 2 septembre 1992)a étendu les limites de révision à l’ensemble des conditions posées par l’article 16 al.1 et   non seulement en cas d’”atteinte à l’intégrité du territoire”.

“Des failles qu’il faudrait revoir”

S’agissant de la révision de la constitution Comorienne, seule une limite temporelle de la révision est posée. Il s’agit de l’interdiction de réviser la constitution en cas d’”atteinte à l’unité du territoire (…)”. Mais rappelez-vous que l’article 12-3 al.1  pose 4 conditions alternatives, parmi lesquelles figurent”l’atteinte à l’intégrité du territoire” et donc l’équivalent de l’”atteinte à l’unité du territoire”. En revanche, sur la menace qui frappe les autres conditions, la constitution Comorienne, à traves l’article 42, n’interdit pas de réviser la constitution. Il n’est pas écrit dans la constitution, par exemple, qu’il est interdit de réviser la constitution en cas de menace grave sur les institutions constitutionnelles ou en cas de menace grave et immédiate qui frappe l’indépendance de la Nation?  En conséquence, ce n’est pas l’ensemble des conditions énumérés par l’article 12-3 al.1 de la Constitution qui sont frappées d’interdiction de révision. Mais seulement, en cas d’”atteinte à l’unité du territoire”.  
D’autant plus que la Cour Constitutionnelle Comorienne n’a jamais élargi la limite de révision à l’ensemble des conditions énumérées par l’article 12-3 al.1 (Comme le conseil constitutionnel Français l’a fait en 1992, confirmé en 1999).

En guise de conclusion, à l’heure actuelle, notre Constitution contient des failles qu’il faudrait revoir pour l’intérêt de la Nation. "



 

Abdoulmadjid Youssouf , Ancien conseiller à la Cour constitutionnelle



" Avant tout un bref témoignage : lors de son premier mandat de chef d’Etat élu, le président Azali avait opposé un refus catégorique aux membres de son entourage proche de l’époque qui le soumettaient à une vigoureuse pression pour l’inciter à usurper le tour échu à l’île de Ndzuwani pour l’exercice de la présidence tournante de l’Union. Cette sage et bénéfique décision patriotique du chef de l’Etat a alors épargné notre pays d’un chaos abyssal annoncé. Elle lui a également valu l’estime et l’admiration ainsi que le respect de ses pairs africains et occidentaux, et des organisations internationales. Tous ont salué le sens élevé de l’intérêt supérieur de la nation du président Azali.


Aujourd’hui, grande est ma surprise de découvrir la signature du chef de l’Etat apposée au bas de documents en date des 12 et 13 avril 2018, portant transfert provisoire des compétences de la Cour constitutionnelle à la Cour suprême. Car l’initiative du président divise et fait polémique; elle continue à susciter une vive controverse et des débats enflammés sur  sa conformité ou non à la Constitution. Les esprits s’échauffent, le climat relationnel se pollue ; et les positions des uns et des autres demeurent figées. Franchement nos concitoyens auraient aimé faire l’économie d’une telle crise.

Mais qu’en est-il en réalité?


En fait, le transfert des compétences de la Cc à la Cs est l’épilogue d’une chronique d’un blocage annoncé du fonctionnement régulier de la Cc. Soyons clairs : je n’ai pas le moindre  atome de sympathie pour la plupart des membres de la Cc, et ce pour des raisons que tout le monde connaît. Nous avons cependant, une obligation de vérité envers nos concitoyens.

Voici donc les faits : La Cc est une des institutions importantes de l’Etat créées par la Constitution. En vertu des articles 37 et 38 de la Constitution, le président de l’Union, les trois vice-présidents de l’Union, le président de l’Assemblée nationale, ainsi que les gouverneurs des îles autonomes nomment chacun un membre à la Cour constitutionnelle pour un mandat de six ans. Au mois de mai 2017, les mandats des cinq membres de la Cour arrivent à terme, la nomination de leurs remplaçants incombe au président de l’Assemblée nationale, M.Abdou Ousseni, au vice-président de l’Union, Moustadroine Abdou ainsi qu’aux trois gouverneurs des îles respectivement M. Hassani Hamadi, Ngazidja, M.Salami, Ndzuani, M.Fazul, Mwali.

Cri d’alarme ⃰

En juin 2017, le gouverneur Hassani Hamadi, Ngazidja et son collègue de Ndzuwani, M.Salami ont nommé leurs membres respectifs à la Cc, en application de l’article 37 de la Constitution. Par contre, à ce jour, soit un an après, le président de l’Assemblée nationale M.Abdou Ousseni, le vice-président, Moustadroine, et le gouverneur de Mwali M. Fazul, n’ont toujours pas daigné nommer leurs membres respectifs à la Cour. Ces hautes autorités de l’Etat ont donc décidé de façon délibérée de provoquer le blocage du fonctionnement régulier de la Cc, et par là des institutions de l’Etat en général. Pour quels motifs ? En tout cas, c’est du jamais vu dans un pays qui se prétend pourtant démocratique. Nos concitoyens dont je suis, sont donc légitimement fondés à interpeller respectueusement ces autorités de l’Etat, sur les motivations qui les conduisent à se soustraire à leurs obligations constitutionnelles de nomination des membres de la Cour, prenant ainsi le risque gravissime de replonger, le pays dans les affres de l’instabilité et des troubles politiques que l’on croyait pourtant derrière nous. L’attitude cavalière de ces autorités traduit tout simplement un mépris total, et pour la Constitution de l’Etat, et pour également le peuple comorien, qui les a élus et hissés à leurs hautes responsabilités actuelles.
Face à cette situation pour le moins alarmante, je souhaite solliciter les lumières de nos éminents juristes ainsi que celles de notre brillante Intelligentsia à propos du comportement ubuesque de ces mêmes hautes autorités qui se placent au dessus de la Constitution et des lois du pays en se soustrayant à leurs obligations constitutionnelles.

“Jouer avec le feu”

Je le dis gravement aux hautes autorités de l’Etat : jouer avec les institutions de la République c’est comme jouer avec le feu. C’est donc un jeu particulièrement dangereux qui peut précipiter à tout moment le pays dans l’abîme et le chaos. Jusqu’à maintenant, les comoriens continuent à jouir d’un certain consensus national, certes encore fragile, mais assez suffisant pour préserver l’unité nationale, la paix civile, la concorde et  la cohésion nationale. Il s’agit là de certains idéaux fondamentaux que bien des pays du continent nous envient, confrontés eux à l’instabilité politique chronique et aux troubles sociaux ou ethniques récurrents. Prendre donc le risque de remettre en cause nos acquis fondamentaux précieux s’assimilerait à un acte de haute trahison contre notre pays et contre nos concitoyens.

Je me tourne désormais vers le président de l’Union qui est le recours suprême : monsieur le président, la Constitution a fait de vous l’arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions. Le devoir et l’intérêt supérieur de la nation vous commande de faire un usage pertinent et efficient de vos prérogatives d’arbitre et de modérateur du fonctionnement régulier des institutions, pour rappeler les autorités de nomination à la Cc, à leurs obligations constitutionnelles, de nomination, sous peine de vous voir être accusé de complicité et de connivence avec ces autorités de nomination.

Le blocage de la Cour sera ainsi automatiquement levé, l’institution reprendra son fonctionnement régulier après prestation de serment des nouveaux membres, le pays sera sauvé parce que le président Azali aura fait son job. Ce n’est pas beau çà !



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