Absence de pièces justificatives des dépenses engagées, non-respect de la loi sur la passation des marchés publics … La section des comptes de la Cour suprême dresse un tableau alarmant du fonctionnement des sociétés d’Etat. Dans un entretien accordé à Al-watwan la semaine dernière, le président de cette institution a déploré les mauvaises pratiques qui caractérisent l’ensemble des établissements publics où ils ont effectué des audits. «Plus de 80% des dépenses que nous avons eues à examiner depuis 2012 ne présentent pas de pièces justificatives. La production de ces dernières relatives aux dépenses payées fait défaut. Certaines d’entre elles n’ont pas fait l’objet d’enregistrement dans la comptabilité», a déploré Ahmed Elarif Hamid.
Les CA en veilleuse
Cette situation a été accentuée par l’absence d’une loi portant nomenclature des pièces justificatives des dépenses publiques, estime notre interlocuteur. «Il existe seulement un arrêté. Mais une loi s’impose. Une telle règlementation définira les documents à produire selon les dépenses en question. Par exemple, si une société achète des meubles, elle saura quelle pièce justificative présenter», a-t-il expliqué. La liste des manquements répertoriés au sein de ces sociétés est loin de se clore. La seule institution de contrôle des finances publiques dénonce la persistance «d’un certain laisser-aller dans la gouvernance» des entreprises et autres entités publiques. Un phénomène qui s’explique par l’absence des conseils d’administration, principaux organes légaux de gestion dans les sociétés d’Etat, selon la loi régissant les établissements à capitaux publics, les conseils d’administration (Ca) sont systématiquement mis en veilleuse. Pourtant ils jouent un rôle de premier plan.
Ahmed Elarif Hamid
Le plus souvent, on se rend compte que soit leurs membres ne sont jamais renouvelés, soit le conseil est remplacé par des comités de direction dont l’existence n’a aucune base juridique. Faut-il rappeler que dans les entreprises publiques, le conseil d’administration est la seule instance chargée de voter le budget prévisionnel et valider les comptes que les comptables produisent. «La conséquence, on n’élabore plus les manuels de procédures. C’est la navigation à vue, si on peut le dire», regrette notre interlocuteur. Fort de ce constat, la section des comptes préconise la remise sur pied des conseils d’administration.
Les comptes transmis
tardivement
Au-delà, la cour pointe les retards récurrents sur la transmission des comptes. A la fin de chaque exercice, le comptable doit produire un rapport qui passe en conseil d’administration pour examen et visa. Malheureusement, en raison de l’absence du Conseil, cette étape n’est pas respectée, s’alarme le président de la section des comptes qui demande aux comptables de s’en tenir au strict règlement. Chaque année, les retards sur la transmission de ces comptes se répètent (compte d’exploitation, s’il s’agit d’une entreprise, et compte de gestion pour le trésor). Le projet de loi de règlement, les comptes administratifs et les comptes de gestion relatifs à l’exécution des lois de finances ne sont jamais fournies à temps voulu, ils sont tous logés à la même enseigne.
«Cette situation ralentit nos travaux. Pire encore, les parties prenantes dans l’exécution des lois de finances ne répondent pas à nos sollicitations. Ils doivent nous les envoyer quatre mois après la clôture de l’exercice précédent», a précisé le président de la section des comptes. Loin d’être irréprochables, les personnes qui font office de comptables sont épinglées. D’abord, parce qu’ils ne respectent pas l’ordonnance N 01-14 du 28 juillet 2001, réglementant la comptabilité aux Comores. Dans son article 22, elle dispose que «les comptables publics sont, avant d’être installés dans leurs postes, astreints à la constitution de garanties et à la prestation de serment». Un autre article exige le dépôt d’une caution. «Dans tous les établissements contrôlés aucun comptable n’a respecté cela», regrette-t-il.
Des rapports d’audits
classés sans suite
La loi N 11-027/Au du 29 décembre 2011 portant passation des marchés publics et délégations des services publics est constamment violée, a constaté la seule instance du pays qui se penche sur la gouvernance des établissements publics. Bien que cette règlementation fixe un seuil (10 millions de francs) à partir duquel, le marché doit faire l’objet d’un appel d’offres mais le gré à gré perdure.
La section des comptes déplore l’absence de la liste des sociétés devant être soumises aux audits de l’institution. Les lettres envoyées aux ministres des Finances de ces quinze dernières années sont restées sans réponses depuis bien des années. «Pire encore, nous leur envoyons tous nos rapports. Mais ils sont classés sans suite. Notre travail consiste à plaider pour la transparence, la lutte contre la corruption. Celui qui gère l’argent public doit comprendre qu’il aura des comptes à rendre. D’où l’importance de cette liste», a poursuivi notre source. Plusieurs directions et ministères font également la sourde oreille. C’est le cas par exemple du ministère de l’Education nationale, celui de l’Aménagement du territoire ou encore la société nationale de l’électricité (Sonelec). Depuis le mois de juin, jusqu’à aujourd’hui, ces institutions n’ont pas donné suite aux courriers de la section des comptes après que celle-ci ait manifesté son souhait de réaliser des audits dans le cadre de ses travaux. Malgré les multiples recommandations émises, la section de compte continue à déplorer «les comportements répréhensibles observés dans la plupart des entreprises» soumises au contrôle de l’institution.
Abdou Moustoifa